IMPROJAZZ

Magazine d'information musicale
Sept 2002

Festivals et concerts
Philippe Allen

Poésie du jour et de la nuit

La carte de Mhère offre toujours des fruits étranges. De préférence la nuit, mais pas seulement. Dans “ la grange de M. Comte ”, un peu plus haut dans le village, un cirque avait planté son chapiteau miniature. Poussée la porte et franchi l’épais rideau, enveloppé de la chaude odeur de bois scié on semblait avoir pénétré, comme Alice, dans un autre monde. Changer d’échelle : là est sans doute l’antidote au spectacle. “ Small is beautiful ”, certes, mais c’est davantage encore. La petitesse, comme la lenteur est aujourd’hui un concept critique. J-Kristoff Camps a installé ses petits tréteaux sous une tente de plage, la piste est un tambour et une guitare posés sur une table de camping, à hauteur des yeux. Les spectateurs sont des élus au nombre limité de cinq. Trois devant, au ras du sol ; le minuscule banc de derrière “ est réservé aux amoureux ” : il s’en trouva qui apprécièrent d’être ainsi appelés à se serrer. Les yeux rivés sur les manipulations de petits animaux mécaniques, d’une balle et de menus objets qui arpentent, roulent ou claudiquent sur le manche de la guitare, tombent sur la peau du tambour, les têtes se rapprochent comme celles d’un cercle d’enfants occupés à jouer aux billes sous le préau d’une école. Le monde n’existe plus, oublié, un univers a pris sa place, intense, délivré des normes adultes et de leur dictature de l’utile. Absorbés dans la contemplation de grenouilles sauteuses, d’une coccinelle hésitante, d’un pic acrobate et d’un équilibriste en péril, le sérieux du jeu nous avait reconquis. Un temps qui fut nôtre, enfoui sous les scories de l’existence, se ranima, tout de fraîcheur, de disposition à l’inouï. Alors, le moindre événement sous la tente prit une dimension cosmique : Les musiques de cirque de M. Titou font à nouveau circuler le sang gelé du monde. Rendus à l’ordre de la présence, nous fûmes raccordés au battement du temps. Il avait suffi pour cela d’agir sur la distance. Rapprocher, réduire, ramener doucement l’œil et l’oreille à hauteur de réalité. Trouver la distance juste, et laisser agir : “ hygiène ”, dirait Baudelaire. Là encore, la beauté du dispositif tient en partie à ce que tout s’effectue “ à vue ”. La précision du geste, sa seule délicatesse permet au manipulateur de disparaître dans sa présence, comme le montreur de marionnettes, devenu transparent et pourtant là, indéniablement là. Les musiques de ce cirque-là sont tout de bruissements réels, tirés de la rumeur du monde, élevés jusqu’à l’ouïe par une simple qualité de silence et d’attention. Pareils à des insectes écrasés sous nos pas quotidiens de promeneurs pressés qui réservent au microscope leur trésor baroque de formes insoupçonnées. Mais l’œil est un microscope, qu’on le ramène au ras de l’herbe - et l’oreille un cornet acoustique. La merveille, c’est que cette “ juste distance ” qui décompose comme un prisme la lumière blanche de l’idéologie, coïncide exactement avec celle qui rend la poésie possible, lui permet d’advenir *.
Philippe Allen

* Ce travail se situe donc dans le prolongement, en droite ligne, de celui que J-Kristoff Camps a pu faire sur le Journal télévisé de 20 h, “ Le Journal d’information Parlé ” (voir Dominique Grimaud, "Carnet de croquis", Revue & Corrigée, n° 51, mars 2002, et Jean-Christophe Camps, "Nous avons dérivé dans une caverne" Revue & Corrigée n°48, juin 2001) et bien dans le fil de nombre de recherches des Kristoff K. Roll, ces Straub et Huillet de la musique. Interroger ensemble le réel et la perception, c’est reconnaître que l’on n’agit efficacement sur l’un ou l’autre qu’en les prenant ensemble, dans leur relation concrète, sans rien nier du réseau de relations qui en conditionne les rapports, et dont la plupart nous échappe. Débusquer l’idéologie, c’est défaire patiemment ce tissu complexe. Cela passe nécessairement par des dispositifs qui décomposent les comportements perceptifs (voir le travail d’analyse institutionnelle auquel s’est livrée Carole Rieussec). Il y faut bien du tact pour ne pas tout bonnement les remplacer par d’autres mécanismes tout aussi manipulateurs, et qui se révèlent bien souvent, à leur insu, participer eux-mêmes du “ spectacle ”


L'HERAULT DU JOUR

17 Mai 2005
Montpellier festival

Saperlipopette, voilà enfantillages !
au domaine d'O
Anne Leray

Titou musicien de l'infime

Il fallait traverser le vaste parc du Domaine d'O ce week-end, voir les enfants et leurs parents se détendre avec bonheur sur ses vertes pelouses et traverser la neige blanche d'une pluie de pollen ajoutant à la dimension féerique du festival, pour retrouver Monsieur Titou et son curieux concert live.
Sous une toute petite tente en tissu coloré ondulant sous le vent, une vraie cabane comme on les aime enfant, Monsieur Titou fabrique des musiques pas comme les autres, avec un tas d'objets et surtout des jouets, mécaniques, à ressort, électriques.
" Tout ce qui fait du bruit peut faire de la musique" estime Jean-Kristoff Camps, compositeur de musiques électroacoustiques à Montblanc dans le Biterrois, se joignant régulièrement à différentes formations de musiques improvisées pour des sessions sonores atypiques.
Et il a bien raison car avec un peu d'imagination, les objets - roulés, frottés, secoués, percutés - se mettent en effet à parler un langage aux variations multiples. La manipulation est subtile, dosée et délicate car Monsieur Titou opère dans un mouchoir de poche à quelques centimètres du nez de son public, une dizaine de personnes seulement.

A la retraite après 30 ans sous le grand chapiteau de Pinder, Titou, mélomane de l'infime à l'ombre sous son chapeau de paille, a décidé de monter son propre cirque avec pour piste, un tambour et une guitare. Billes, balles et toupies roulant sur la peau du tambour, grenouilles vertes ou gobelets se frottant aux cordes de la guitare, coccinelle qui en bas- culant sur son socle se prend pour une boîte à rythmes, il jongle d'un objet à l'autre et les sons produits sont amplifiés sur deux minuscules enceintes.
Monsieur Titou joue et fait son cirque. Un peu clown il nettoie sa gratte avec un balai lilliputien, jette un lapin dans une théière au fond de laquelle rugit un lion, nous fait le coup du foulard volant ou actionne avec dextérité un mobile musical.
" J'expérimente la sonographie avec un public qui est très près des sources sonores. Les enfants sont émerveillés par les objets, les adultes ont plus de recul et de dérision. L'idée est d'apprendre à écouter. " Et ça marche. Tous les yeux sont rivés sur les manipulations habiles de cet homme orchestre et les oreilles n'en perdent pas une miette.
Anne LERAY

 

Ce week-end, Monsieur Titou a donné 14 fois le plus petit concert du monde! (Photo AL)